Prix Jeune Mousquetaire Rencontres Littéraires

Des textes après l’annulation de l’édition 2020

jeudi 18 juin 2020 par Eric BUSSON, JLG

Après la déception l’annulation des rencontres, le petit plaisir de lire les textes que les auteurs ont eu la gentillesse de nous adresser. Découvrez les, et savourez-les.

Le mot du Président du jury de cette édition annulée : Akli Tadjer

Akli Tadjer

Chères amies, cher amis,
J’ai eu la chance et le privilège d’être l’invité de rencontres avec des lycéens et collégiens de Nogaro pour échanger autour de mon roman Le Porteur de Cartable et d’un petit essai que j’ai commis, - Qui n’est pas raciste, ici ? – suite au refus de certains lycéens des Hauts de France qui avaient refusé de lire Le Porteur de Cartable au prétexte, en autres, que je ne serais pas Français.
Je garderai de ces rencontres le sérieux du travail des enseignants ainsi que les réflexions justes, sincères, intelligentes parfois contradictoires des élèves, et c’est bien le but aussi de ces rencontres. Je garderai, aussi, en mémoire cette merveilleuse rencontre avec plusieurs lycéens et lycéennes au cinéma de Nogaro où avec Éric Busson, le chef d’Orchestre du Prix du Jeune Mousquetaire, ainsi qu’avec de grandes lectrices, nous avons présenté les romans en lice. C’est avec des expériences comme celle-ci que nous pouvons avoir confiance et espérer en la France de demain. Malheureusement, le Covid est passé par là et nous ne saurons jamais qui est le lauréat. Consolons-nous en nous disant que pour cette l’année, tous les jeunes auteurs sont les lauréats du Prix Jeunes Mousquetaires !
Pour conclure, je dirai qu’aller à l’invitation des enseignants apporter ma vision du monde à travers mes romans est un devoir, car je considère que l’écrivain a cette fonction sociale.
Je voudrais remercier Éric Busson et souhaite longue vie au Prix Jeune Mousquetaire.
Amitié littéraire
Akli Tadjer

Vincent Lahouze : Jours étranges

Vincent Lahouze - © Mathieu Thauvin

La Chaleur est revenue, les beaux jours aussi, les gens sortent prudemment de chez eux, après des mois, confinés. Que reste-t-il de ces jours passés, avec nos fronts collés aux fenêtres en priant pour qu’elles s’ouvrent, enfin ? Comme des mouches prises à leur propre piège, et qui se cognent aux vitres, encore et encore. Notre monde s’est arrêté durant des semaines. Belle Infidèle, notre planète s’est mise en retrait, nous obligeant à stopper cette course folle contre le temps. Qu’allons-nous retenir de cette expérience ? Quelles leçons pour le futur ? Durant des jours entiers, la littérature s’est figée, entre les pages. Privée de ses rencontres, de ses échanges avec les lectrices, les lecteurs, chaque auteur a erré durant de longues semaines, À crier dans les ruines d’un quotidien sans culture. Certains ont écrit des journaux de bord, d’autres ont vu leurs plumes taries par les heures qui s’écoulaient lentement. De-ci, de-là, j’ai lu que les gens devenaient fous, qu’ils tournaient comme des lions en cage. Moi, durant ces derniers mois, ma fenêtre est devenue ma télévision. J’ai regardé le monde tourner lentement sur lui-même, au ralenti. Le silence résonnait si fort. Au bord du canal, les canards étaient chaque jour plus nombreux. L’eau, de plus en plus verte. La végétation, les mauvaises herbes avaient envahi les villes. Depuis, les hommes sont sortis de leurs cachettes, de leurs cabanes bâties en rouleaux de papier-toilette, de farine et de pâtes. Les hommes sont passés, ont tout coupé et Les autres fleurs font ce qu’elles peuvent pour survivre, encore un petit peu. La littérature, aussi. Est-ce que tout recommencera, comme avant ? Avec cette loi du plus fort. Celle des oiseaux qui ne chantent plus au petit matin. Celles des eaux qui redeviennent noires et usées. Est-ce que l’être humain n’a que pour seule pensée envers lui-même : « J’ai des idées pour détruire ton égo ?  ». Malheureusement, je n’en ai aucune idée. Et je n’ai aucune réponse à apporter. Je sais simplement qu’en tant que Jeune Mousquetaire, je continuerai à croiser la plume comme arme et l’écriture comme bouclier.
Parce que la vie n’a pas de prix, certes, mais la littérature, oui.

Vincent Lahouze

François-Henri Soulié : Un jour dans la vie d’un écrivain.

François-Henri Soulié - © Michel Besnard

La scène se passe au lycée Bossuet de Condom. Il s’agit d’une rencontre avec les élèves afin de préparer le « Prix du Jeune Mousquetaire 2020 ». Nous devons parler de la sélection des romans en compétition ainsi que des livres en général et de ceux qui les écrivent. Je suis aussi là pour témoigner de mon aventure avec les mots. Nous sommes ensemble pour réfléchir à ce que signifie l’acte d’écrire. C’est une scène de ma vie qui va durer toute une journée.

La scène se passe à l’époque où l’avenir n’avait pas encore été annulé pour cause de crise sanitaire. J’entends par « avenir » ces rendez-vous qui remplissaient nos agendas comme autant de promesses. Des balises que le présent inscrit de jour en jour dans la perspective d’un futur forcément imaginaire. À telle date, à telle heure, j’irai à cet endroit... je rencontrerai cette personne... je ferai ceci ou cela.
L’agenda est un objet d’espoir. Il espère contraindre le temps à nos projets, le plier à notre volonté, voire à nos désirs. Il le soumet aussi à nos obligations et, par-là, nous enchaîne.

Nous étions donc à l’heure, ce jour-là, au rendez-vous avec l’inconnu. Les jeunes élèves, les professeurs et l’écrivain. Prêts à partager quelque chose d’indéfinissable.
Il y a toujours quelque inquiétude pour un homme vieillissant à se trouver confronté au questionnement de la jeunesse. On se demande si l’on n’a pas trop usé et abusé des idées, et comment retrouver leur fraîcheur sous la rouille de l’habitude. On se méfie des formules, des banalités conventionnelles. On espère répondre avec justesse face à des intelligences toutes neuves assoiffées de découvrir. Sans tricher pour complaire.
Comment aborder la ruine des illusions et les duperies du conformisme ? Comment évoquer l’absolu avec les armes du doute ? Comment parler des grands espaces de la pensée face à la déconfiture des civilisations ? Comment opposer l’impuissance de la culture face à l’inusable barbarie ?
Car on sait bien qu’il n’existe qu’un seul réel, mais qu’il y a mille façons de le décrire et qu’aucune n’est totalement fausse.
Devant la jeunesse, plus encore qu’en toute autre circonstance, il n’est pas de tricherie qui tienne. La jeunesse a des antennes pour détecter les faux-semblants. Il faut donc être soi coûte que coûte. Il s’agit de s’exposer dans une sorte de strip-tease consistant à mettre son âme toute nue face à des esprits en quête de sens.
Alors, on y va, on se jette à l’eau. Avec pour seul recours le fantôme de l’adolescent que l’on était et qui rêve encore à ses métamorphoses dans la peau de l’homme mûr.

L’exercice de la parole en public est un enseignement précieux. Il apprend à se taire et à écouter les autres. À moins de devoir produire un discours officiel ou un cours magistral, ce n’est pas l’orateur qui fait le spectacle ; c’est l’assemblée toute entière. Heureusement, les élèves ont beaucoup de choses à dire. Leur présentation des livres en compétition, la façon dont ils les défendent avec ardeur, passion et humour me dédouanent de mes inquiétudes. Je sais que nous allons parler de ce qui nous intéresse d’égal à égal. Très vite, l’intervenant que je suis censé être n’intervient plus qu’au même titre que tous les autres.

Puis viennent les questions sur le métier d’écrire. Je dois alors évoquer ce qu’il est convenu d’appeler un parcours. Dans mon cas ce n’est pas celui du combattant. Ce serait plutôt une promenade d’agrément. Une balade, au plaisir sans cesse renouvelé, dans le vaste paysage de la langue française. Une langue impossible. Parmi les plus compliquées du monde, les moins populaires et les moins mélodieuses. Une langue parfaite pour les grammairiens et les juristes par qui elle a été savamment tricotée. Il faut rendre hommage à nos poètes qui ont su malgré sa forme aride, lui donner son chant profond. Il faut évoquer Racine et son pari de « faire quelque chose à partir de rien ». Parler du miracle Rimbaud, des argots, des idiomes locaux et des jargons professionnel. Montrer l’extraordinaire richesse de notre patrimoine littéraire. L’apport des écrivains étrangers qui l’ont adoptée, des Beckett, des Cioran, des Ionesco... Evoquer la nécessité, pour chaque génération, de se forger un langage à elle, avec ses expressions spécifiques et ses verlans. Des « Incoyables et Meveilleuses » aux « Zazous » et aux rappeurs. Puis finir par reconnaître, au sujet de l’auteur que l’on prétend être, que l’on n’est pas Marcel Proust et qu’il faut alors, en écrivant, travailler à forger sa propre langue dans les limites étroites de son propre talent. Il faut aussi souligner l’actuelle paupérisation de la langue qui menace la pensée de sclérose. L’impérieuse nécessité des nuances pour déjouer les pièges des pensées réductrices et des opinions sans fondements. Tourner le dos à l’anesthésie de la langue et lui redonner sa truculence rabelaisienne. Revendiquer l’acquisition du vocabulaire pour étendre le champ des possibles. Et proclamer enfin le bienfondé des néologismes contre les diktats des académies fossilisantes.

Nous abordons ensuite les territoires infinis de la documentation. C’est là que se trouve la probité du scénariste, du conteur d’histoire. Se documenter sur le monde, celui du présent et celui du passé. Faire table rase de ses goûts personnels, de ses croyances. Se hasarder loin des habitudes et de cette paresse qui consiste à penser que les autres nous ressemblent. Certes, oui, par bien des aspects ; mais il faut aussi prendre conscience de toutes les différences qui font l’intérêt et la richesse de nos semblables. Explorer loin de soi afin de constater que le chemin vers soi passe toujours par les autres. Et faire ce constat d’humilité que nos fantasmes les plus intimes sont communs à des millions de personnes. C’est justement cela qui rend possible le partage de la fiction. L’écrivain doit ainsi apprendre à devenir une éponge. Puis retourner ensuite au plus profond de lui-même pour extraire la quintessence de tout ce qu’il a absorbé.
J’ai confiance en mon auditoire qui participe ardemment au débat. Je me permets de donner quelques recettes de cuisine. Celle-ci, par exemple, qui me paraît essentielle pour raconter une histoire aux ressorts bien tendus : « Tout ce qui n’est pas utile est nuisible ». Ou cette autre, proférée par Paul Valéry : « Toute sensibilité qui n’est pas brûlée au feu de l’esprit, pue. »

Quelques heures plus tard, chacun pouvait appréhender ce que serait la « boîte à outils de l’écrivain ». Restait à aborder le problème du contenu. Sachant, en ce qui me concerne, que j’exclus le faux débat de la forme et du fond. Le style n’est jamais que celui de l’esprit.
L’avantage du polar, un des domaines dans lesquels j’exerce ma plume, est qu’il permet d’aborder tous les registres, tous les tons et pratiquement tous les domaines. Le polar est une tragédie sans majesté. Comme la vie elle-même. Il court les rues aussi à poil qu’un fait divers – dont il s’inspire souvent. C’est un genre « populaire ». C’est-à-dire qu’il concerne et touche tout le monde, tous les milieux, tous les âges et tous les sexes. Tout pareil que la chansonnette. Il pose en principe la question sans réponse du mal et de la mort. Il explore, sous toutes ses coutures et ses effilochements, les désarrois de la condition humaine. Il ne prétend pas être autre chose qu’un divertissement, mais il peut conférer à ce genre ses lettres de noblesse. Et il n’exclut ni l’humour ni la poésie.

Vient ensuite l’heure des questions. Elles fusent de toutes parts. Certaines sont convenues, d’autre sont étonnantes, simples ou compliquées, plaisantes ou douloureuses. J’essaye d’y répondre de mon mieux. Et puis une dernière car l’heure tourne. C’est un petit jeune homme discret, assis assez loin dans l’amphithéâtre. Jusque-là il s’est montré attentif mais muet. Maintenant il lève le doigt.
- Monsieur, est-ce que vous croyez à la liberté d’expression ?

Il me demande ça presque au moment de se quitter ! La sonnerie va bientôt retentir. Je n’ai que quelques minutes pour répondre alors qu’il nous faudrait une journée de plus. Définir l’idée que l’on se fait de la liberté. Dire que c’est peut-être l’une des choses dont l’humanité rêve le plus et qu’elle redoute le plus à cause des exigences qu’elle implique. À cause de la solitude de l’homme libre. Il faudrait aussi parler de La Boétie et citer les grands théoriciens de la chose. Manier les paradoxes. Reconnaître avec Michelet que « l’art naît de la contrainte et meurt de la liberté  ». Se souvenir du slogan « Il est interdit d’interdire » et rendre hommage à Charlie-Hebdo. Faire l’éloge de la désobéissance qui est la qualité des enfants, des génies et des héros. Evoquer les artistes en prison et les paroles bâillonnées, partout, en tout temps. Et les combats menés, partout, en tout temps, pour la conquête sans cesse recommencée de cet idéal insaisissable. Finir peut-être en disant que la liberté que nous acceptons le mieux est faite de toutes les servitudes que nous avons choisies. Et que nous l’aimons d’autant plus que nous nous sentons libres d’en changer.

Nous nous sommes quittés là-dessus.
Aujourd’hui, à l’heure où j’écris ces lignes, cette chose étrange qui s’est appelée « le confinement » est en train de prendre fin. Nous renouons avec l’en-dehors et avec les autres. Exactement à la manière dont un écrivain s’extirpe du cocon de l’écriture. Un peu engourdis et vaguement en quête de quelque chose d’indéfinissable qui serait à la fois semblable et différent que ce qui était « avant ». Maintenant que nos agendas recommencent à se noircir de promesses, nous voici de nouveau confrontés à notre place dans le monde et, plus que jamais, à la question du sens de notre vie et de notre liberté.

Je me souviens que sur le chemin du retour de Condom, je repensais à cette affaire cruciale de notre présence au monde et je songeais au très beau livre tragique de Victor Jestin La chaleur, qui était mon favori dans la compétition. L’auteur a vingt-cinq ans. Il écrit, comme disait Duras « à la crête des mots ». Son roman m’a rappelé L’étranger de Camus. Et l’émotion de mon adolescence lorsque je l’avais lu. Aucun doute, un auteur vient de naître. Un monde nouveau surgit d’un imaginaire tout neuf.

Je me souviens encore qu’au moment du départ, dans la cour du lycée Bossuet, quelques élèves m’avaient confié qu’ils écrivaient eux aussi. Je sais, aujourd’hui, que le Prix littéraire ne sera pas attribué. Mais j’aimerais décerner aux élèves que j’ai rencontrés ce jour-là, le Prix de l’Espoir. L’espoir d’une amitié en train de naître entre eux et les livres. Autant dire l’espoir d’une liberté.

François-Henri Soulié

Angélique Villeneuve : Nogaro, Mirande

Angélique Villeneuve - © Paga Grasset

C’est novembre, fin novembre à Mirande, lycée Alain Fournier. Je viens de vérifier. C’était vraiment novembre et pourtant, de juin où j’écris aujourd’hui, il me reste de ce temps un souvenir d’été.
Celles et ceux qui m’ont accueillie là avaient au-dedans la lumière de juillet, j’en suis sûre, et pour moi l’ont laissé déborder.
Organisateur aux petits soins, complice, Proviseur du lycée–est-ce qu’on dit Principal ? Je ne sais plus, on s’en fiche, je me souviens avec stupéfaction qu’il était là, assis dans la classe, attentif et patient, comme presque jamais les Proviseurs, les Directeurs, les Principaux. Et puis aussi les Professeurs, bien sûr, au nombre de trois, merveilleux, investis et gourmands de tout. Je voudrais les revoir.
Et eux. Les Élèves. Je suis entrée dans trois classes, il me semble. Trois classes, et chaque fois, à la lecture des textes qu’ils venaient d’écrire, les larmes. Les leurs, les miennes aussi.
Jamais, je crois, jeunes filles et jeunes gens n’avaient été aussi généreux dans ce qu’ils donnent d’eux-mêmes à travers l’écriture. Si bruts. Si délicats. Si déchirants. Si audacieux. En eux, comme en tous les adolescents - quel que soit l’âge on est souvent adolescent-, il n’y a pas que de l’été, bien sûr. Oh non. Il y a l’ombre et il y a la morsure, qui, certains jours, prennent toute la place.
Et voilà que sur le papier ils en laissaient couler un peu. De l’ombre. Et de la morsure. Les donnaient à ceux qui les écoutaient et les découvraient autrement, et à moi, inconnue. En mettant en mots la pénombre, les petits flottements de leur vie et leurs folles espérances, ils avaient fabriqué de l’été.
C’est ce qui me reste. Les yeux mouillés. L’envie de vous avoir tous dans les bras. Et l’été de Mirande à la fin de novembre.
J’aurais tant voulu revenir aujourd’hui, aller à Nogaro au Lycée D’Artagnan, être un mousquetaire avec vous. Ça reviendra, j’en suis sûre. L’élan est là.
De ça, je vous remercie, organisateur, proviseur, professeurs, jeunes femmes et jeunes hommes qui, bientôt, irez voir ailleurs où promener l’été du vrai calendrier.

Angélique Villeneuve


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